Jacques de Lesseps, fils de Ferdinand, le père du canal de Suez, était un précurseur de l’aviation. Après la première guerre mondiale, il s’était spécialisé en photographie aérienne et avait fondé la Compagnie Aérienne Française.
Au Québec, le ministre des Terres et Forets, Honoré Mercier, fils, désirait faire l’inventaire des inaccessibles forêts gaspésiennes. Il retint donc les services de la CAF qui, à partir de bases d’hydravions à Gaspé et Val- Brillant, commença les missions photographiques à l’été 1925.
Survint alors la première querelle de ce que l’on appellera plus tard les Gens de l’air. Le gouvernement fédéral, revendiquant la compétence exclusive en aéronautique, s’objecta à la décision québécoise d’engager une société étrangère; Ottawa exigea la création d’une filiale canadienne et l’embauche de pilotes et ingénieurs, sujets britanniques! La CAF créa donc la CAFC ou Compagnie Aérienne Franco- Canadienne et demanda des permis temporaires pour de Lesseps et ses pilotes. Ottawa refusa, déclenchant ainsi une dispute constitutionnelle.
En 1927, des agents de la GRC imposèrent des amendes aux pilotes. Attaqué par le Montreal Star qui voulait discréditer Taschereau et Mercier, Jacques de Lesseps fut convoqué à Val-Brillant. Le 18 octobre 1927, il décollait de Gaspé malgré le temps incertain. Trois jours plus tard on retrouva la coque de l’avion près de Matane. Le 5 décembre son corps était retrouvé , échoué sur une plage de Terre-Neuve
Malgré le décès de de Lesseps, la CAFC continua ses missions photographiques jusqu’en 1931 et photographia 31 000 milles carrés de territoire.
Dès 1928, il fut cependant décidé de transférer les installations à Pointe-aux-Trembles (sur la terre d’Albert Cormier) et de diversifier les activités.
On décida d’y organiser un service de baptême de l’air et de voyages spéciaux. La compagnie installa un hangar provisoire en bois et un très long slip pour permettre aux hydravions d’y accoster et aux passagers de débaarquer sur la terre ferme
On confia le soin au célèbre architecte Ernest Cormier de dresser les plans d’un hangar en béton armé de 10 000 pieds carrés, d’une hauteur de 47 pieds et d’une portée de voûte de 110 pieds, en faisant ainsi la plus grande structure de béton armé d’Amérique du nord. Une annexe regroupait bureaux, salles d’attente, toilettes, téléphone. Une véranda permettait d’assister à l’évolution des appareils.
En 1929, deux appareils Schreck- Hispano- Suiza étaient en service .L’année suivante, des appareils plus spacieux étaient prévus. Les horaires prévoyaient une envolée quotidienne vers Pointe- Claire. Mais…
Le Québec avait soumis son litige avec Ottawa aux tribunaux. Contre toute attente, la Cour suprême reconnut l’autorité du Québec en matière d’aviation. Le gouvernement fédéral en appela alors au Conseil privé de Londres qui reconnut la compétence exclusive d’Ottawa en matière d’aviation. La CAFC était condamnée à disparaître et la base de Pointe-aux-Trembles à être fermée.
Les anciennes installations de la CAFC connurent une dernière heure de gloire, à la fin de l’année 1935.
Robert Noorduyn, pilote et ingénieur hollandais, avait travaillé en Allemagne et en Angleterre avant de s’établir chez nous en 1920. Travaillant successivement pour les avionneries Fokker, Vickers et Bellancas, il ouvrit en 1934 à Montréal sa propre entreprise: Noorduyn Aircraft. Son objectif: construire le meilleur avion de brousse imaginable. En 1935 il construisit son prototype dans le vieil hangar de la Curtiss-Reid à Cartierville. Il fallait maintenant tester l’appareil destiné à voler sur flotteurs.
C’est ainsi que le prototype Norseman immatriculé CF-AYO fit son vol d’essai sur flotteurs, à Pointe-aux-Trembles, le 14 novembre 1935, à partir des anciennes installations de la CAFC. Le Norseman fut le premier best-seller de l’industrie aéronautique montréalaise. De 1935 à 1959, plus de 900 appareils furent construits.
Il semble que par la suite, ce soit la Compagnie Canadian Vickers qui se soit portée acquéreuse des installations à des fins inconnues. Au cours de la Deuxième guerre mondiale, l’Aviation canadienne récupéra l’édifice pour y entreposer des pièces d’avion.
Après la guerre, l’aéroport fut vendu à la société Creaghan and Archibald qui y aménagea une usine de fabrication de pièces de béton. Rachetée par la société Schokbeton en 1977, celle-ci y interrompit la production et procéda, prétextant les risques pour la sécurité, à la démolition du célèbre hangar d’Ernest Cormier.